Eliane, adhérente
Pour les deux paysans de ma vie :
mon mari et mon fils, et tous ceux qui continuent à garder toute sa dignité et sa noblesse à cette profession si difficile mais toujours aussi belle.
LA TOUR DE VERRE
Jadis, le Seigneur, du haut des tours et donjons de son château,
Jalousement, veillait, nuit et jour, sur ses vassaux ;
Il dominait, asservissait, mais aussi protégeait
Ses sujets, pauvres manants, éternellement au labeur, attachés.
Aujourd'hui, les tours de granit crénelées sont anéanties,
Et Seigneurs et Dames trop bien parés, à jamais enfuis.
De ce passé brillant côté châtelains, et si dur côté terriens,
Œuvre de pierre et de papier subsistent, fidèles témoins.
Cher ami Paysan, ouvre grands tes yeux,
et ne te leurre plus,
Ce passé lointain, que tu crois bien révolu,
Il est bien toujours là, et terriblement vivant,
Et tu es toujours, de la société, le manant.
Regarde, écoute, observe et redresse ton échine ;
Courbé sur le sillon, même depuis tes belles machines,
Tu oublies de voir qui tire de ta marionnette les ficelles,
Pour mouvoir tes bras, tes jambes et même ta cervelle.
Cher ami Paysan, la tour de verre te guette sans
arrêt.
Tout là-haut, cachés en haut de leur minaret,
Ils épient tes faits et gestes, détectent tes faiblesses sans pitié,
Jaugent tes forces et ton potentiel, pour mieux les utiliser.
Si je n'avais le respect des mots, l'orthographe je referai
Et en lieu et place des Seigneurs, nobles et hardis,
C'est des Saigneurs dont il faut parler,
Car c'est ton sang, ton travail, ta vie, qui les nourrissent.
Regarde bien la tour de verre aujourd'hui
Pas de meurtrière, ni de fossé, ni de pont-levis,
Mais eux, de l'intérieur, sans cesse, te voient, t'observent, t'épient
Et sur leur peuple de manants, ils règnent comme jadis.
À vous tous serfs, ils jettent en pâture, dans vos sillons, quelques deniers,
Sous forme d'un meilleur contrat, ou d'un plus juteux marché,
Et en riant de là-haut, ils vous observent, vous estropient
Pour tenter de saisir un peu de cette manne inespérée.
Cher ami Paysan, relève la tête, sois fier et droit
Toi qui vis avec la pluie, le soleil, la nature,
Tu sais que tricher avec ces éléments tu n'as pas le droit ;
Ton amie c'est la glaise, et elle est restée pure.
Redresse-toi, relève-toi, trace ton sillon devant toi,
Même si tu n'as que les miettes de ce grand banquet des rois
Toute mon estime va pour toujours vers toi
La terre est propre, et le vrai noble, c'est toi.